Au fil des nuits – irrégulièrement –, des insomniaques bavardent, abhorrent, critiquent, admirent, commentent, digressent, grognent, maudissent, renseignent, plaisantent, proposent, rêvent.
Le Père Duschêne
25 février 2019
Grande colère du père duchesne 3 ventôse, an CCXXVII
De voir comment les bons bougres sont tirés comme des lapins par la troupe à chaque fois qu’ils ont la har- diesse de défiler et de s’assembler dans les rues pour y conspuer l’oligarchie. en décembre, on a vu ces mes- sieurs-dames les énarques pris d’un cuisant flux d’en- trailles à la vue des foules grondantes. depuis lors, empressés de mater la populace, ces perfides poltrons, encore tout enchiassés, ont fait voter de nouvelles lois scélé- rates par le Marais fétide où siège, aux frais de ladite populace, un ramassis de jean-foutre qui n’ont d’autre dessein que de la foutre en cul. et, bien sûr, les gouvernants font en hâte grande provision d’armes en tout genre, destinées à asphyxier les indociles et à broyer leurs chairs – et à terrifier les bons bougres qui seraient tentés de grossir leurs rangs. Gaz neurotoxiques, balles enrobées de caoutchouc, grenades au TNT, véhicules blindés : telles sont les armes de guerre qu’emploient à leur guise, désormais, les brutes casquées, à l’âme fangeuse et pleutre, que solde le régime .
(Pour s’en protéger d’avance en quelque manière, leurs victimes désignées pourraient se pencher sur le moyen de paralyser préventivement les usines qui fabriquent ces armes ou les locaux des négociants qui les importent, de perturber par tous les moyens ce fructueux commerce, qui prospère sur les souffrances des bons bougres – par exemple, en dressant la liste des chacals qui s’engraissent ainsi, pour les désigner à l’exé- création publique.)Cette clique de petits marquis n’autorise pas encore ses soudards robotiques à cribler le peuple de balles dites « réelles », c’est-à-dire plus certainement meurtrières – comme y appellent d’ores et déjà les plus bilieux de ses louangeurs. Mais cet usage, très délibéré et si démesuré, d’armes « presque pas mortelles », qui ont déjà causé par dizaines de graves blessures et des mutilations, préfigure la tournure plus sanglante que pourrait prendre la répression, si l’obstination et les prouesses des Gilets jaunes venaient à exacerber le délire paranoïaque et la férocité des hommes de pou- voir aux abois. Citoyens ! La force publique est aux ordres d’une coterie de fricoteurs et de bour- sicoteurs qui se gobergent tandis qu’ils nous plongent, par leurs immenses rapines, dans les affres de la déchéance. Les hauts serviteurs de l’État nous veulent pauvres parce qu’ils nous veulent rampants, et les vautours de la finance nous veulent ram- pants parce qu’ils nous veulent pauvres. À cela, mes amis, il n’est que trois remèdes : de l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace ! Certes, les gilets jaunes n’en ont point manqué jusqu’ici. ils ont secoué le joug de la nouvelle aristocratie, ils ont courageusement disputé l’espace public aux forces obscures qui en avaient fait leur réserve de chasse. Forts de leur popularité, armés de la plus farouche résolution, libérés des muselières syndicales et des camisoles politicardes, ils ont ébauché l’indispensable, le véritable débat social, par lequel la funeste emprise du marché sur la vie est enfin exposée et largement remise en question – ainsi que le délire utilitariste des technocrates et des capitalistes qui mènent joyeusement l’espèce humaine et la planète tout droit à la catastrophe. Cette grande palabre ne risque guère d’être escamotée par le pâle simulacre de débat qu’a mis en scène le foutriquet qui se prend pour Louis XIV et finira, s’il s’en- tête, comme Marie-Antoinette. Avec lui et ses courtisans, il n’est rien d’autre à démêler que les modalités de leur exil à Coblence ou à Singapour. Les doléances des mécon- tents sont certes prosaïques, telles qu’elles sont relatées et discutées, mais elles s’ados- sent à la poésie furieuse de l’émeute, à l’exigence hardie du renversement.
Les grondeurs, ayant entrepris de reconquérir leur dignité, ont eu l’intelligence tactique de ne pas se satisfaire des miettes que le pouvoir, pressé par le grand patronat paniqué, a fait mine de leur octroyer. ils ont, pour la plupart, senti que seule l’interruption durable et étendue de la circulation de la valeur pouvait leur procurer un avantage décisif… et se sont alors aperçus de leur isolement dans l’action. Face aux tactiques éprouvées du pouvoir – tension, pourrissement, diffamation, mitraille, prison –, ils découvrent la nécessité de se doter, sinon d’une improbable stra- tégie unitaire, du moins d’une irréfutable légitimité, propre à coaliser les colères plé- béiennes. ils se voient contraints de tout faire, désormais, pour s’assurer de la connivence morale et du concours actif de la jeunesse impétueuse, de tous les esprits épris de liberté, et surtout de la multitude des pauvres – ceux qui portent la livrée effi- lochée du salariat comme ceux qui grelottent dans les haillons de l’entière exclusion. et, plus que tout, il leur faut tenir le haut du pavé à Paris, où se concentrent fortunes et prépotences. C’est là que les privilégiés s’adonnent à leurs agiotages et spoliations, qu’ils étalent leur faste ; là que sévissent les histrions, les mouchards, les bonimenteurs et les muscadins qui insultent tous les jours au désarroi de la grande majorité des Pari- gots. or Paris ne se conquiert que de l’intérieur. Cela m’afflige de l’avouer, moi qui suis un enfant de Paname, mais l’Athènes-sur- Seine, où fut fondée la république fraternelle et égalitaire, n’a guère fait montre, en cette aubaine, de l’esprit de fronde dont l’histoire l’a si généreusement pourvu. Ses banlieues, notamment, ne se sont pas levées en masse pour accueillir les Gilets jaunes venus des départements assiéger les palais de la nouvelle aristocratie et les temples du veau d’or.
Cela tient à ce que beaucoup d’entre leurs habitants, parqués dans des simulacres de quartiers par des urbanistes sadiques, n’ont jamais connu que la grande pauvreté. Leur vécu est de longue date tissé de privations et assombri par la déréliction dans laquelle nombre de salariés, hier encore bien « insérés », redoutent de basculer aujourd’hui. Trop de banlieusards se sont résignés à la paupérisation et ne cherchent à y remédier que par de piètres et vains palliatifs. Ô sœurs et frères de la vague jaune, à vous de leur redonner espoir, de leur tendre la main, de les appeler au combat pour la dignité et la justice sociale ! Quant aux publicistes et gens de plume faisant profession de hauteur morale, qui exercent tant d’influence parmi la nombreuse classe moyenne de l’agglomération, ce sont pour la plupart des prébendiers de l’État, de la presse servile ou de telle ou telle faction de privilégiés. Ces cuistres n’ont donc eu de cesse de convaincre leurs ouailles, d’habitude sympathiques à toutes les bonnes causes (surtout les plus lointaines), que ce sont les Gilets jaunes qui sont des brutes fascistes et menacent les libertés – et non les sbires en armure que tout le monde voit mitrailler tout ce qui bouge, pour un oui ou pour un nom, aux fins de supprimer de fait le droit de s’assembler et de protester. Ce sont ces mêmes grandes âmes qui ne trouvent guère à redire à ce que des milliers de citoyens soient jetés dans les bastilles de la république, pour avoir protesté contre les privilèges odieux que protègent et partagent des gouvernants corrompus et fiers de l’être. Ah, foutre ! C’est donc cela, la république que nos aïeux ont engendrée en ver- sant leur sang par torrents ?
Non certes, c’est une féodalité nouvelle, et plus nocive à la vie que l’ancienne, que l’on voit ainsi prendre forme à nos dépens. C’est un mode d’asservissement d’autant plus dangereux qu’il est bassement jésuitique et se pare des vertus controuvées d’un humanisme de pacotille. Ainsi Paris et sa banlieue, où les bons bougres sont pourtant légion, n’ont point fêté les Gilets jaunes comme assurément ceux-ci le méritaient. La bigarrure du mou- vement, sa profusion teintée de confusion ont décontenancé plus d’un autochtone, sans doute. Surtout, les tristes signes de chauvinisme ou d’intolérance qui y sont fugitivement apparus ont lourdement été soulignés et ressassés ad nauseam par les perroquets médiatiques et autres folliculaires à gages *,
(Par exemple, les injures, abjectes autant que vaines, qu’essuya le très réactionnaire sermonneur cathodique Finkelkraut suscitèrent une avalanche de commentaires spécieux qui pouvait, me dit-on, laisser penser au téléspectateur incurieux que rien d’autre de plus important ne s’était passé ce jour-là dans les rues de France. Sous un ciel d’azur, les Gilets jaunes étaient pourtant de sortie par dizaines de milliers, bravant les gaz lacrymogènes et les fusils lance-balles en caoutchouc des brigades antigrogne. Quant au filousophe, on l’aurait vu, le soir même, sous la sénile coupole du quai de Conti, faire force moulinets avec son épée de théâtre, procla- mant qu’il allait bouter les Sarrasins hors du royaume des Francs et foutre en cul tous les chanteurs de rap. M’est avis que le refuge ultime de ce jean-foutre, quand adviendra l’exode des nantis et de leurs obligés, ne sera point dans les sables de Palestine, où il lui fut si sottement suggéré d’aller s’ensevelir, mais au Muséum – vraiment immortel enfin, car artistement empaillé en habit vert et bicorne. Tant qu’à insulter cet insulteur professionnel des pauvres, le père duchesne eût mortifié ce faisan d’élevage par un nom d’oiseau plus cruel : « Foutu pendard d’académicien ! »)dans le but de jeter l’opprobre sur l’en- semble des mécontents. et de rebuter ainsi les habitants d’une ville qui a toujours été un creuset des cultures et un chaudron du Libre-esprit – et qui est aussi le lieu straté- gique où tout se joue en France, et où tout se dénouera si l’enlisement de la révolte ne prévaut. Toujours est-il que les Parigots n’ont pas prêté la main, en grande cohue, aux excès qui se sont avérés nécessaires pour que la peur change quelque peu de camp. Mais, foi de père duchesne, je gage qu’ils y viendront – et d’autres avec eux par- tout en France – si la barbarie et l’iniquité de la répression s’aggravent au point d’en- colérer la ville où triomphèrent tant d’insurrections… et si, sous un exaltant soleil printanier, les écoliers, se sachant voués à la désolation et floués de leur avenir, prodi- guent au mouvement l’élan juvénile qui lui fait, à ce jour, cruellement défaut… et, plus sûrement encore, si, en sus de ces renforts, des salariés en grand nombre, notam- ment ceux des secteurs des transports et de l’énergie, entrent dans la danse ou, tout simplement, se croisent les bras, le temps d’une fin de régime. Même le plus dur hiver a peur du printemps.
Des robots affairistes déclarent la guerre à un éditeur indépendant
5 février 2019
Le site Internet de L’insomniaque éditeur a dû changer son nom de domaine en ce début d’année 2019. Peu avertis des arcanes de la communication cybernétique, nous avions laissé passer la date d’expiration de ce précieux nom de domaine (insomniaqueediteur. org). En conséquence, le gestionnaire de noms de domaine GoDaddy a jugé bon, sans nous en aviser directement, de vendre ledit nom à l’encan. Il a été adjugé, pour une poignée de dollars, à des imposteurs, qui, sous notre ancien nom de domaine, tentent de se faire passer pour L’insomniaque éditeur — sans la moindre crédibilité, ni même le moindre effort pour paraître crédible.
Leurs desseins, politiques ou commerciaux, restent très mystérieux à ce jour, mais leurs agissements ne resteront pas impunis, de même que le préjudice moral et matériel que ces escrocs nous ont causé, et nous causent encore à ce jour. Le nom et l’adresse qui sont indiqués à la rubrique « contacts » sont, bien sûr, tout aussi bidon que les prétentions et le contenu de ce pseudo-site, mais nous ne désespérons pas de démasquer la ténébreuse entité qui nous nuit de la sorte.
On jugera de la nature de ce préjudice en consultant le site qu’a bricolé ce gang d’androïdes à très bas quotient intellectuel artificiel. Usant d’algorithmes rudimentaires et s’exprimant dans un sabir robotique aussi grotesque qu’inintelligible, ces ennemis de l’humanité présentent certains ouvrages parus à notre enseigne dans des articles conçus par ordinateur, qui assemblent en désordre des mots-clés glanés de manière aléatoire sur le vrai site de L’insomniaque et d’autres sites Internet.
Par exemple, l’essai d’anthropologie radicale de Georges Lapierre, Être Ouragan, donne lieu à un simulacre d’articulet sur « Les 3 pires ouragans des 50 dernières années »… Et notre livre en soutien aux pirates somaliens du golfe d’Aden, Frères de la Côte, est commenté par une notice cyber-encyclopédique délirante qui nous apprend que ces Frères de la Côte constituent une organisation qui « s’est réunie pour la première fois au Chili en 1950 » et qu’ils obéissent à « une loi appelée Octagon », le tout illustré de photos tirées de banques d’images et montrant de jeunes et beaux matelots de la marine de guerre américaine… Le reste est à l’avenant.
On pourrait se contenter de rire de cette très grossière manipulation-falsification. Ou de mépriser de telles inanités, dépourvues en elles-mêmes de tout sens. On peut aussi y déceler une menace de plus à l’encontre de la liberté, un danger d’asservissement par la confusion mentale généralisée, engendré par les réseaux numériques et ceux qui les contrôlent. En tout état de cause, cette affaire, digne du théâtre de l’absurde, en dit long sur les progrès qu’accomplit le « grand mensonge » qui tient lieu de communication de masse en ce malheureux siècle — le dernier, si les humains n’y portent remède.
L’INSOMNIAQUE
Montreuil, le 31 janvier 2019
Au pays de la Grande Harmonie
20 juin 2012
Le Monde libertaire, n° 1649 (3 au 9 novembre 2011) Achaïra, 3 novembre 2011
Hsi Hsuan-wou et Charles Reeve, les Mots qui font peur, vocables à bannir de la Toile en Chine, L’Insomniaque, 2011, 112 p.
Depuis moins d’une année, depuis les printemps arabes, les différentes dictatures du monde ont grand peur de leurs peuples ; et la bureaucratie néo-maoïste chinoise, en particulier, craint pour le maintien de son inénarrable « socialisme de marché ». En effet, maintenant que l’on a constaté l’efficacité déployée par les téléphones mobiles et autres nouveaux moyens de communication de la Toile, outils que la jeunesse manie avec dextérité, on comprend la panique qui s’est emparée des différentes tyrannies. Il s’agit donc, pour ces dernières, d’empêcher l’information de passer, essentiellement sur les sujets qui les dérangent : je veux parler des récentes avancées démocratiques qui se firent quasiment sans violence en Tunisie et en Égypte, beaucoup plus militaires en Libye, plus difficilement appréciables au Yémen ; en Syrie, la répression sanglante d’un peuple pacifique atteint des sommets…
Aussi, en Chine, un Bureau d’harmonisation des mots-clés fait-il barrage informatique à certains vocables qui pourraient donner des idées de révolte au bon peuple. Ce Bureau d’État sur l’information fait de son mieux pour filtrer… les informations. Quels sont donc ces mots si redoutés, si dangereux pour le pouvoir rouge ? – Tian’anmen, Tibet, droits de l’homme, Tunisie, Libye, jasmin, oui ! Jasmin.
- Grève, un vocable qui peut annoncer un futur « printemps ouvrier » et qui nous rappelle que la lutte de classe perdure…
- Syndicat indépendant, syndicat détaché du prétendu « parti du prolétariat ». En avril 1989, lors des premières manifestations sur la place Tian’anmen, des unions autonomes ouvrières furent lancées, un peu à la façon de Solidarnosc en Pologne.
- Vengeance, quand la pauvreté et la rancœur se font agressives, quand le peuple se fait justice lui-même, directement, avec férocité, contre les nantis et leurs chiens de garde.
- Émeute, migrant (les fameux deux cents millions de « mingong » évoqués dans une précédente chronique).
- Blog, à noter que sur environ deux cents millions de blogueurs, une bonne minorité s’ingénie à briser la Grande Muraille du mensonge. Il y aurait en face 40 000 cyberflics en activité. Par ailleurs, à Pékin, serait mis en place un système pour localiser à tout moment les utilisateurs de téléphones portables.
- Luxe et mafia, les deux vont ensemble. Selon des études de marché, les produits de luxe d’importation devraient, dans les dix ans à venir, atteindre les 44 % des ventes mondiales. Et à qui cela profite-t-il ? À la bureaucratie rouge et aux nouveaux capitalistes privés encore sous contrôle du parti.
- Bagne, goulag, laogai, laojiao ; ce sont des spécialités « communistes ». Sur les 50 millions de Chinois qui y séjournèrent, plus de 20 millions y laissèrent la vie. Il s’agit pour la clique au pouvoir de régner par la terreur, par la peur. Ce dernier mot est également à chasser de la Toile car le peuple peut avoir l’idée qu’elle change de camp.
- Mao tsé-toung car la pensée du Grand Timonier peut être retournée contre le parti actuel.
- Démocratie. Si la dictature, c’est ferme ta gueule, la démocratie, c’est cause toujours. Pour autant, l’idée démocratique inquiète la mafia rouge. – Plainte : il y a un bureau pour cela comme au temps de l’Empire mandchou.
- Taiping : la « grande égalité » ; il s’agit de ces paysans révoltés, partisans d’un communisme radical, qui chassés de leurs terre par la misère prirent Nankin en 1851. Vraiment un mauvais exemple !
- Avenir, eh bien ce sont les lendemains qui chantent remis à beaucoup plus tard.
- Bonheur : « Les citoyens, las de rechercher leur bonheur individuel dans l’obéissance et les sacrifices, risquent alors de le trouver collectivement dans la rébellion. »
- Stress : les cyberpleurnicheries sur le stress seraient de grossières provocations antipatriotiques destinées à démoraliser la population. Ne parlons que de la bonne fatigue !
- Religion. « C’est le soupir de la créature opprimée. » Or la Chine est plongée dans une « détresse générale » avec un retour massif du religieux qui devient une menace pour les « communistes ». Falungong, taoïstes, bouddhistes, sectes évangéliques, tous prospèrent.
Ainsi, tout internaute qui cherche ce qu’on lui cache verra un barrage informatique s’afficher sur son écran : « Selon les lois en vigueur, votre recherche ne peut aboutir. » Mais qui sont ces surfeurs curieux ? Eh bien, ce sont ceux que l’on nomme maintenant la « jeunesse éduquée » ; éduquée et moderne mais privée pour sa plus grande majorité du bel « avenir radieux » que lui promettait le capitalisme rouge d’État : le nombre de diplômés réduits au chômage ne cesse d’augmenter.
Ces mesures de rétention se révèlent bien sûr insuffisantes à maintenir l’ordre social – ce que la bourgeoisie « communiste » nomme sans rire « l’harmonie sociale » -, aussi des moyens policiers supplémentaires ont-ils été multipliés pour lire les courriers, écouter ce qui se dit sur la Toile, pour ficher, emprisonner ou faire disparaître les individus qui seront jugés inquiétants. On vous le dit, un vent de panique souffle dans les hautes sphères…
Cette jeunesse, à la recherche de la liberté et de la justice sociale contre la volonté de domination d’une mafia aux commandes, serait-elle le premier « sujet révolutionnaire » avant tous les autres ? Sans doute, mais la jeunesse n’a-t-elle pas été cela de toute éternité ? Indépendamment de ce mouvement juvénile, il faut signaler en Chine des « incidents de masse », c’est-à-dire tous les actes d’« indocilité collective », et rajouter des grèves très dures, des manifestations de rue, des actions de désobéissance civile et des émeutes violentes encore plus violemment réprimées. Mais – oh stupeur ! -, alors que nous tournons la dernière page, on nous annonce que cette liste de « vocables à bannir de la Toile en Chine », eh bien, c’est tout simplement un canular : un cyber hoax. Un faux, quoi ! Or, à la réflexion, ce « faux » semble être plus vrai que la pseudo-réalité que les dirigeants chinois veulent bien nous montrer. Aussi, avant d’éteindre votre lumière, avant que le sommeil ne poursuive son travail de méditation, je vous conseille ce petit bouquin très agréable à lire et que les auteurs ont dû prendre plaisir à composer. C’est très bien fait.
André Bernard CerclelibertaireJB33
Wobblies & Hobos
Le Monde libertaire, n°1664 (15-22 mars 2012) Achaïra 22 mars 2012
Magnifique bouquin à tous points de vue que celui-ci. Les Wobblies recrutaient essentiellement parmi les travailleurs peu qualifiés : des journaliers agricoles, des bûcherons, des mineurs, des ouvriers du textile, etc., et des hobos, ces travailleurs itinérants qui brûlaient le dur et colportaient les idées des wobblies dans tout le pays américain. Un chapitre de ce bouquin décrit assez bien les pratiques libres et pittoresques des hobos.
Pour avoir une idée de ce que voulaient les Wobblies, on pourra lire, en y appréciant la qualité, le préambule des statuts des IWW dans sa version définitive et intégrale de 1908. La machine qui remplace l’outil, la Première Guerre mondiale et une répression féroce du capitalisme et de l’État américain vinrent quasiment à bout de ce mouvement. Mais les graines qu’ils semèrent continuent de lever ici et là de par le monde…
Les pratiques et les mots d’ordre qui furent les leurs, et qui continuent plus ou moins à être les nôtres, étaient : la lutte des classes, la grève générale, l’abolition du salariat et du capitalisme, la résistance ouvrière organisée (one big union), la solidarité, l’éducation, l’action directe, le sabotage, etc. La référence à l’action électorale, controversée, fut rapidement supprimée des statuts car l’électoralisme n’avait pas grand sens pour les Wobblies qui se méfiaient des politiciens et aussi des dirigeants syndicaux réformistes ; de même pas grand sens pour les Noirs, les femmes ou les immigrés de fraîche date qui ne pouvaient voter. Ce syndicat se voulait la base organisationnelle d’une société future qui naîtrait dans le creux de l’ancienne ; les wobblies imaginaient une sorte d’« État syndical ».
La grève des bras croisés ou des mains dans les poches, dans l’unité, était préconisée. Mais, devant la violence policière, une violence identique fut souvent retournée contre la répression. Le sabotage, « qui n’est pas une violence physique », était recommandé, exprimé dans les tracts par l’image du chat noir en colère et celle du sabot en bois. Entre autres actions, il faut signaler la campagne pour la liberté de parole et le droit de protester dans la rue qui dura une dizaine d’années. En effet, pour lutter contre des officines où on « vendait le travail », les Wobblies en préconisèrent le boycott, organisant des prises de parole en pleine rue ; ce qui fut interdit par la municipalité de Spokane, puis celle de San Diego, puis celle d’Everett, les auteurs du délit étant aussitôt arrêtés. Aussi, le 9 octobre 1909, le Industrial Workers lança un appel : « On recherche : des hommes pour remplir les prisons de Spokane. » Il s’agissait de faire converger vers la ville des milliers de militants pour grimper sur une caisse à savon et prendre la parole. Les prisons se remplirent, débordant les municipalités qui levèrent les interdits.
À Lawrence, en 1912, sur 22 000 ouvriers du textile, une bonne moitié était composée de femmes et d’enfants quand commença une grève qui dura dix semaines et où se retrouva la fine fleur des animateurs wobblies. La durée du temps de travail avait été diminuée de 55 à 54 heures hebdomadaire ; la paye avait suivi pour des gens qui se nourrissaient déjà essentiellement de haricots, de mélasse et de pain. « Nous voulons du pain, mais aussi des roses », chantaient les ouvrières de Lawrence.
À Paterson, en 1913, c’est la grève dans les fabriques de la soie. « Nous croyons que la chose la plus violente que puissent faire les ouvriers, c’est d’arrêter le travail », déclare un ouvrier. « Seul le retour des travailleurs dans les usines peut rendre vie à la matière morte des machines. »
Les Wobblies s’affirmèrent également hors des villes lors du ramassage du houblon, lors des différentes moissons, dans le bûcheronnage, dans les mines de charbon, de cuivre et de plomb. « Ne perdez pas de temps à pleurer ma mort. Organisez-vous ! », écrit, en 1915, peu avant d’être fusillé dans l’Utah, le chanteur itinérant Joe Hill, accusé de meurtre.
Accompagnant le récit de sa vie et de sa mort, on trouvera dans le CD joint au bouquin la version d’une des chansons parmi les nombreuses qu’il a écrites. Complétant chaque sujet traité, sont annexés des « documents », c’est-à-dire des textes divers : articles de journaux, brèves biographies de militants, déclarations devant les tribunaux, chansons, poèmes, etc., sans compter les photos, gravures, dessins et bois gravés.
Il va sans dire que ces luttes coûtèrent très cher aux militants en emprisonnements, quelquefois de très longue durée, en passages à tabac, certains particulièrement cruels, en expulsions et fusillades sanglantes. Anticapitalistes, antinationalistes, antimilitaristes, les wobblies s’opposèrent à la Première Guerre mondiale. En septembre 1917, les agents fédéraux envahirent locaux et domiciles privés pour saisir des tonnes de documents qui servirent aux innombrables procès et condamnations. C’était quasiment l’agonie des Wobblies. Cependant, nous dirons avec eux : « Ne vous résignez jamais ! »
André Bernard Cercle libertaire Jean-Barrué en Gironde
Migrantes chinoises, chercheuses de liberté
Achaïra, 28 juillet 2011 Pun Ngai, Avis au consommateur. Chine : des ouvrières migrantes parlent, L’Insomniaque, 2011, 158 p., 15 euros
C’est le témoignage de quelques ouvrières du plus grand atelier du monde : les « zones économiques spéciales », dans la Chine d’aujourd’hui, là où se fabriquent nos chaussures de sport, nos téléphones mobiles et toute la camelote que l’on retrouve sur nos marchés. Les conditions de travail sont d’un autre âge, et c’est peu dire – la militarisation industrielle règne – mais pour les jeunes ouvrières venues de la campagne, contraintes dans ces workhouses à subir une surexploitation effarante, c’est encore mieux que l’assujettissement patriarcal qu’elles subissaient dans leurs familles ; c’est même un affranchissement. Libérées d’une domination, ces femmes migrantes ne sont pas toujours dociles pour autant, et certaines ont déjà commencé à se rebiffer…
1. Hui, à la recherche de la liberté, a quitté une famille extrêmement violente pour travailler en ville ; elle hurle maintenant à la fenêtre du dortoir, « comme si tout ce qui [lui] pesait sur [le] cœur s’envolait avec [son] cri ». Elle rêve et regrette pourtant son village où la vie était plus douce…
2. A-Fang, qui a pratiqué les arts martiaux, ne craint pas de changer souvent de travail ; elle a un grand souci de sa dignité, de ses droits et aussi de la force de la solidarité : « Quand on est nombreux, plus personne n’a peur », dit-elle. « La dignité, c’est plus important que l’argent. »
3. A-Chung, elle aussi aime la liberté, mais, dit-elle, « quand je rentre, je veux repartir ; quand je pars, je ne pense qu’à rentrer ; et quand je suis rentrée, j’ai encore envie de repartir. Voilà ce que je ressens. »
4. Xiao Yan a perdu la face : après avoir emprunté de grosses sommes d’argent à sa famille, elle s’est fait escroquer ; elle n’ose plus revenir au village les mains vides. Les jeunes paysannes qui témoignent ici font souvent preuve d’une très grande naïveté. « La vie ne m’a rien apporté », dit Xiao Yan.
5. Hua est également une fille désemparée qui, pour rembourser une dette de son père, a été promise dès l’enfance à un mariage arrangé. Père qui la soumet à un chantage au suicide. Elle part pourtant à la ville et s’abrutit dans un travail à la chaîne, jusqu’au jour où enfin elle décide de se prendre en main : « J’estime que notre vie nous appartient et n’a pas à être contrôlée par quiconque », dit Hua. Elle affronte alors son destin.
6. A-Hong, orpheline, a vécu une enfance malheureuse et, n’ayant plus personne au village sur qui compter, elle part. Sur le chemin de la ville, elle est kidnappée et vendue à un homme qui lui répugne mais qui deviendra son mari. Après plusieurs tentatives de suicide, elle fait trois enfants. Puis, repartie à la ville, elle se prend d’affection pour un autre homme, mais l’avenir amoureux n’est vraiment pas certain.
7. Fen n’a pas beaucoup de chance en amour. Au travail, ce n’est pas mieux. Elle réussit cependant à trouver une certaine indépendance économique en conduisant son propre taxi, mais elle se lie avec un homme marié. Tiraillée entre les reproches de sa famille et son amour contrarié, Fen est en plein mélo amoureux, très loin de la lutte de classe.
8. Tante Cui. C’est une vieille : elle a 50 ans ! Elle a connu la faim du temps du Grand Bond en avant, n’a jamais franchi le seuil de l’école et a subi un mariage arrangé à 17 ans : son mari la battait. Mais elle aussi est partie travailler en ville : elle y a acquis une certaine indépendance financière et fait maintenant l’admiration de son village ; elle en est fière.
9. A-Lan est partie d’un village de montagne pour se faire embaucher comme ouvrière dans une usine de chaussures, à seule fin, à 36 ans, de payer les études de ses deux enfants. Mais la colle qu’elle utilise dans son travail la rendra rapidement malade ; elle et ses collègues se sont empoisonnées à l’hexane, produit qui provoque des paralysies diverses. Ainsi, en Chine, les maladies professionnelles dans divers secteurs de la production sont de plus en plus graves.
10. Xiao, parce qu’elle était très jeune, trouvera un travail sous un faux nom. Comme toutes les gamines embauchées dans les « zones économiques spéciales », Xiao sera affrontée à de terribles conditions de travail et aux très nombreux accidents qui en résultent. Elle-même sera blessée…
11. A-Xiu, après avoir quitté son village, déchante vite : la réalité ne correspond pas à son rêve ; en grève sans trop l’avoir voulu, elle se retrouve à la rue « sans un rond ». Puis, après une autre embauche, suite à un accident du travail, elle perd un doigt à son grand désespoir. Pourra-t-elle encore se marier ainsi ?
12. Chunmei, elle, est morte d’épuisement au travail. C’est son père qui parle de sa fille : « La vie des ouvriers, c’est comme celle des fourmis : on peut les écraser comme on veut. » Dans le Code du travail, il n’y a pas d’article concernant le surmenage ! « Les ouvriers n’ont que leur force de travail à vendre et non leur vie », dit encore son père.
13. Qing, en participant à une grève et à des manifestations pour obtenir gain de cause, apprend que l’unité dans la lutte est d’une grande importance. Pourtant, elle regrette son village où elle pense qu’il y a quelque chose à faire pour en améliorer les conditions de vie. En quelque sorte optimiste, elle déclare : « Le chemin se fait en marchant. »
14. Zhonghong fait partie de ces « quantités négligeables » que l’on méprise parce que, venues de la campagne, elles ne parlent pas le cantonais. Cependant, elle et ses camarades osent revendiquer pour de l’eau chaude ou un téléphone à proximité du dortoir. Zhonghong voudrait écrire sur la condition des ouvrières précaires, pour qu’elles soient reconnues socialement.
15. Qiuyue a étudié à l’école le marxisme façon Mao. Devenue ouvrière, elle est bien placée pour dire : « Je considère que travailler comme migrante en Chine, c’est comme vivre dans la société capitaliste et non dans la société socialiste. » Elle lutte et constate qu’il n’y a pas d’unité chez les ouvriers, mais qu’il existe ce qu’elle nomme des « contradictions internes. »
16. Weizhen a appris à n’avoir plus peur en luttant. Par ailleurs, elle déclare : « L’injustice entraîne la révolte. » Mais Weizhen est très fatiguée et cherche de nouvelles forces pour continuer à vivre. Elle finira par retourner au village…
Tout cela se passe en Chine, pays dirigé par le Parti communiste. Nous, nous avons la chance de vivre dans une démocratie capitaliste. C’est quand même mieux, non ? Vous pourrez lire cette chronique sur le site cerclelibertaireJB33. Allez ! Et n’oubliez pas d’éteindre votre portable !
André Bernard
La foire aux clebs
11 avril 2012
Vu, rue de la Brinvilliers, ce slogan, à la devanture d’un apothicaire :
Le pouvoir est un poison. L’antidote, c’est l’antivote.
Voici donc la Francimmortelle en période électorale. C’est l’occasion rituelle de refaire avec Octave Mirbeau la grève des électeurs et de relire son increvable vade-mecum de l’abstentionniste qui ne s’en laisse pas conter. Dans une veine plus moderne, à cette ennuyeuse mascarade on peut dire Non ! avec Charles Maestracci, alias Alexandre Dumal. Non à la meute politichienne… Non, surtout, à ceux qui lâchent cette meute aboyeuse sur le bon peuple : les financiers qui distribuent les os à ronger à ces fidèles toutous… Non, enfin, à la honteuse servilité qui pousse les esclaves à choisir leurs maîtres – ou, plus exactement, à primer les chiens de garde du grand capital et à plébisciter ce faisant l’immanence du système marchand : la démocratie représentative ressemble de plus en plus à une exposition canine où cabots et corniauds, caniches et bouledogues se disputent, queue battante, les faveurs du public. Mais qui donc leur collera une bonne pâtée ?
Non ! est fourni avec une douzaine d’autocollants qui raillent sur plusieurs tons l’inanité du moment votique (et qu’on peut télécharger ici). Voyez ce qu’en dit très-sérieusement le moine bleu dans sa chronique électronique http://lemoinebleu.blogspot.com/2012/01/non-ou-la-vaine-gloire-daller-voter.html
Le chant de la jeunesse
Entendu, montant d’une cour de récréation quelque part en Seine-Saint-Denis, cette comptine :
Nous n’irons plus aux urnes, les masques sont tombés,
La foule que voilà ira les piétiner.
Entrez dans la danse, voyez comme on danse :
Chassez, saignez, jambonnez qui vous fait tort,
La foule que voilà ira leur faire un sort.
Et les politiciens, les laisserons nous, ces porcs,
Nous vendre à la finance ? Nous leur crèverons la panse !
Pillez, brûlez, balayez qui vous fait tort,
La foule que voilà ira niquer leurs morts.
Entrez dans la ronde, voyez comme on gronde.
L’élection expliquée aux poétes
Marine Le Pneu
Aime les nœuds
Volumineux…
Le chti zizi
De Sarkozy
Ne l’extasie.
François Flamby
A deux lubies :
Boucs et brebis…
Son greluchon,
Mémé Lenchon,
Fait le ronchon.
La juge Eva,
Fleur de Java,
Au vit ne va.
Elle ne s’ébroue
Que dans le trou
Du doux Bayrou.